Maladie de parkinson et risques de violences conjugales
Retranscription interview du 28 décembre 2022
Bonjour, je suis le Professeur David Devos, neurologue de formation et professeur de pharmacologie médicale à l’université et CHU de Lille et je dirige une équipe de recherche labélisée INSERM S1172.
Les violences conjugales sont-elles fréquentes dans la maladie de Parkinson ?
C’est une question relativement taboue, mal connue et on ne peut pas véritablement estimer la fréquence des violences conjugales puisqu’il n’y a pas eu d’étude épidémiologique bien menée et puis parce que souvent la violence est protéiforme, elle prend différentes formes : il y a des violences physiques évidentes qui sont relativement rares, mais il y a aussi beaucoup de violences morales du quotidien et qui, elles, sont beaucoup plus fréquentes.
Cet aspect protéiforme et le caractère relativement tabou font que l’on a du mal à estimer les violences intraconjugales qui sont le résultat de la survenue d’une pathologie chez l’un des deux époux qui va finalement mettre les deux personnes dans un état de souffrance.
Ce que l’on voit, c’est la partie émergée de l’iceberg, ce sont les séparations, les divorces, où les personnes vont avouer qu’elles sont dans une situation de souffrance.
C’est vrai qu’au quotidien, en consultation, tous les confrères neurologues qui prennent en charge la maladie de Parkinson savent bien que l’aidant est en souffrance à cause de cette maladie, tout comme la personne elle-même ayant la maladie de Parkinson elle-même.
Par exemple on voit que la personne ayant la maladie de Parkinson rapporte souvent une incompréhension de la part de son entourage. Parfois elle paraît bien, mais elle ne l’est pas parce qu’elle a des douleurs ou qu’elle est anxieuse ou triste ; on pourrait croire qu’elle peut faire certaines activités, mais en réalité elle ne se sent pas en mesure de pouvoir les faire.
Alors, c’est vrai que quand on considère ou qu’on réduit la maladie de Parkinson à des tremblements, de la lenteur ou de la raideur, forcément il ne peut y avoir qu’une incompréhension par rapport à l’entourage.
Mais, quand on inclut dans le spectre de la maladie de Parkinson de l’anxiété, qui peut parfois conduire à éviter certaines sorties ou à faire certaines activités, quand on observe aussi une certaine forme d’apathie (absence d’envie, de motivation), quand on voit aussi parfois le mal-être lié aux douleurs, tout cela va pouvoir conduire à une rupture des activités de la vie quotidienne.
L’aidant, de son côté, se rend compte que finalement le rêve de son couple est brisé, ce n’est plus la même personne. Ainsi, les couples qui arrivent à passer au-dessus de la maladie sont finalement des gens qui acceptent le deuil de l’être aimé, qui n’est plus la même personne qu’avant : il faut maintenant que ces deux personnes dans ce couple réapprennent à vivre ensemble, finalement se retrouvent dans une nouvelle relation.
Et donc en termes de fréquence, pour répondre à la question, en plus de 20 ans d’expérience de prise en charge de la maladie de Parkinson, j’ai observé que chez les couples de sujets jeunes - c’est à dire de moins de 60 ans - on est presque à 100 % de rupture, et quand les personnes sont âgées, plus de 75 ans, elles ne se séparent que de manière exceptionnelle, mais c’est souvent là aussi où l’on peut retrouver une sorte de souffrance.
Pour aller dans le détail de ces violences conjugales, on parle beaucoup des violences faites aux femmes, dont on sait qu’elles sont fréquentes, mais les violences faites aux hommes on avait plutôt l’impression que c’était un phénomène rare ou peu fréquent.
L’idée du travail du docteur Bayen1, qui est dans notre équipe de recherche à l’université de Lille, a été d’interroger les différentes personnes sur leur quotidien, puis d’aborder progressivement la question des souffrances qui peuvent exister dans le couple, d’un côté comme de l’autre.
Ce travail a débouché sur une constatation forte : c’est que, finalement, rares étaient les couples pour lesquels il n’y avait pas une sorte de violence au quotidien.
On peut imaginer que c’est le plus souvent la personne malade qui se retrouve victime de ces violences, mais il peut aussi y avoir une certaine forme de violence faite à l’aidant, par exemple en demandant régulièrement des aides, en demandant beaucoup de choses.
Nous avons été extrêmement surpris par la fréquence élevée - qui existe pratiquement chez tous les couples - d’une certaine forme de violence, allant de certains éléments mineurs qu’on peut comprendre par la fatigue de l’aidant, jusqu’à des violences physiques et morales caractérisées et répétées dans leur couple.
En pratique : que faire en cas de suspicion de violence dans ce contexte ?
Alors en pratique et concrètement que peut-on faire contre ce problème ? D’abord en être conscient évidemment et je pense que c’est un peu comme dans les années 2000 où l’on s’est rendu compte du comportement addictif majoré par les agonistes dopaminergiques qui a été un véritable fléau, et lorsque l’on a mieux compris les grands phénomènes dans la maladie de Parkinson, ça a changé notre prise en charge, comme par exemple le fait que la démence peut survenir à partir d’un certain âge dans la maladie de Parkinson et qu’il faut la prévenir, ou l’importance de la dépression, de l’anxiété, qui est présente à plus de 40 %.
Je crois qu’il ne faut pas attendre l’expression de la souffrance au sein du couple pour en parler. Des petits messages réguliers pour rassurer l’aidant et le patient sur le fait qu’il est très difficile de se comprendre.
Il faut très vite avoir conscience de la charge de l’aidant, une charge physique parfois, de supporter physiquement l’autre et l’aider dans des déplacements, mais aussi la charge domestique (il faut prendre en charge beaucoup de choses qui ne sont plus prises en charge par la personne souffrante), et également la prise en charge morale, la peur du futur, les craintes liées à l’avenir.
Tout ceci renvoie les deux personnes dans un état de stress extrêmement important. Et donc, le fait de tenter de diminuer ce stress par la parole, accepter le fait que l’on n’est pas parfait, que les choses ne seront pas parfaites, le fait aussi de rappeler qu’il y a un deuil à faire, qu’il faut effectivement accepter que l’on ne soit plus la même personne, qu’il faut reconsidérer sa vie personnelle et sa vie à deux différemment, sont des conseils qui sont précieux pour les personnes.
Je crois que dire qu’on va être différent, qu’on est différent, qu’il faut bâtir une nouvelle relation, dire qu’il faut prendre du temps chacun l’un sans l’autre, majorer les aides à domicile pour éviter que l’aidant ne se retrouve à tout faire y compris la toilette qui est vraiment quelque chose de dégradant pour l’un comme pour l’autre, sont des conseils extrêmement précieux pour essayer d’aider le couple à passer le cap.
Bien sûr un suivi psychiatrique, psychologique est souvent nécessaire.
La mise en place de toutes ces stratégies de compréhension à la fois par les soignants, l’aidant et la personne souffrante, et aussi d’aides à domicile, de prise en charge psychologique et psychiatrique, sont vraiment des points clés et tout particulièrement pour les personnes jeunes frappées par la maladie, dont on sait qu’il y a un taux de divorce extrêmement important.
Mais je finirai sur une note positive car j’ai vu beaucoup de couples jeunes se séparer et chacun de leur côté parvenait à refaire sa vie, et avec une vie extrêmement satisfaisante, comme si c’était un nouveau « contrat » qui se mettait en place.
Référence :
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Bayen S, Talbi S, Cauet C, Joomun F, Cottencin O, Moreau C, Defebvre L, Devos D, Messaadi N. Lived experience of domestic violence among men with Parkinson's disease: A qualitative study. Patient Educ Couns. 2022 Nov;105(11):3306-3312. doi: 10.1016/j.pec.2022.08.006. Epub 2022 Aug 18. PMID: 35995685.
https://doi.org/10.1016/j.pec.2022.08.006
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DD déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en lien avec le texte publié.