Fluctuations motrices dans la maladie de Parkinson, vers un dépistage plus précoce ?

AVIS D’EXPERT :

Professeur David Devos
Université de Lille. CHU-Lille, Pharmacologie Médicale & Neurologie. Lille Neuroscience & Cognition, Inserm, UMR-S1172, France

 

L’apparition des fluctuations motrices traduit le passage à un stade de la maladie de Parkinson où les traitements sont plus difficiles à équilibrer. Des signes non moteurs sont également concernés, parfois très tôt dans l’évolution de la maladie. Le dépistage précoce de ces fluctuations motrices et non motrices est indispensable afin d’adapter le traitement sans retard et de maintenir une stimulation dopaminergique la plus stable possible.
L’éducation thérapeutique du patient et des aidants est essentielle, dès le début de la maladie, pour les aider à repérer ces fluctuations, à comprendre les adaptations de traitement et à y adhérer. Le médecin traitant doit systématiquement rechercher les fluctuations lors de l’interrogatoire, y compris par la recherche d’une symptomatologie non motrice en fin de dose, telle que de l’anxiété ou des douleurs.
Les objets connectés, comme par exemple des montres avec actimètre, sont déjà en mesure d’aider au repérage d’un sous-dosage ou de l’apparition d’akinésies de fin de dose. La recherche, très active dans ce domaine, devrait nous permettre de bénéficier de ces nouveaux outils pour mieux appréhender le patient dans son ensemble, sur le plan moteur et non-moteur. Cela devra idéalement s’établir dans un véritable parcours de soins impliquant tous les acteurs de santé ainsi que le patient et son entourage.

Interview du 2 septembre 2020

Pouvez-vous nous faire un rappel rapide de la notion de « fluctuations » dans la maladie de Parkinson ?

Maladie de Parkinson : une atteinte des fonctions motrices, mais aussi cognitives
Pour résumer de manière très schématique, la maladie de Parkinson est une maladie de l’automaticité touchant les fonctions motrices, mais aussi les fonctions cognitives. Elle va donc potentiellement impacter tous les gestes automatiques du quotidien, ce qui est bien connu pour la marche, l’équilibre, les gestes répétitifs,… Mais, ce qui est moins connu, c’est que la maladie impacte aussi des fonctions cognitives très automatiques comme par exemple l’attention, la mémoire de travail et même les émotions (ressenties et exprimées).

Des limitations pharmacocinétiques
La déplétion en dopamine au niveau du striatum va aggraver ces troubles de l’automaticité.
La prise en charge médicamenteuse initiale repose, comme chacun sait, sur les agonistes dopaminergiques et - beaucoup plus efficacement - sur le précurseur de la dopamine, la lévodopa (ou L-dopa), puisque la dopamine elle-même ne passe pas la barrière digestive et hémato-encéphalique.
L’utilisation de la lévodopa est toutefois elle aussi confrontée à des facteurs limitants : elle est métabolisée par la dopa-décarboxylase, elle doit aussi passer les barrières au niveau digestif et hémato-encéphalique ; enfin, le principal problème de la lévodopa c’est qu’elle a une durée de vie très courte, d’environ 2 à 3 heures.
On voit donc les limites d’une administration intermittente orale de lévodopa qui n’est pas en mesure de compenser parfaitement en continu la déplétion de la dopamine dans le cerveau.

Un système qui se met à pulser
La conséquence de ces limitations pharmacocinétiques et de l’évolution de la maladie, avec une déplétion de plus en plus importante et de moins en moins de neurones dopaminergiques susceptibles de stocker la lévodopa qu’on lui administre, est que le système va se mettre à pulser. C’est ce mécanisme qui entraîne l’apparition des fluctuations.

À quel moment de l’évolution de la maladie de Parkinson et chez quels patients peuvent apparaître les fluctuations ?

Les fluctuations peuvent apparaître précocement
On sait que plus la forme est sévère, plus les fluctuations vont survenir rapidement. En moyenne, on estime que 50 % des patients seront concernés à 5 ans, mais on sait que dès 3 ans, si on cherche très finement, on a déjà des fluctuations qui débutent, avec des signes de la maladie de Parkinson qui réapparaissent en fin de dose, tels que de la lenteur, de la raideur, des tremblements, une anxiété, parfois des douleurs.
Les signes non moteurs sont également concernés très précocement, et la difficulté diagnostique c’est qu’il y a une extrême variabilité d’expression clinique de ces fluctuations entre les patients, certains patients se plaindront de dystonies, d’autres de douleurs, de sensation d’anxiété, ou encore de lenteur qui resurgit dans la journée.

Repérer les fluctuations très précocement pour adapter le traitement
Il est donc important de rechercher et de repérer ces fluctuations très précocement, afin d’être en mesure d’anticiper l’adaptation thérapeutique et notamment le fait de fragmenter le traitement, qui est très important. Il ne faut pas laisser les personnes s’aggraver dans des akinésies de fin de dose, et donc être en mesure d’anticiper les adaptations thérapeutiques.

Inhibition enzymatique et concept de « stimulation dopaminergique continue »
Le concept de stimulation dopaminergique continue est centrale dans la prise en charge des fluctuations de la maladie de Parkinson. Le principe est d'administrer un traitement de façon à assurer une stabilité du taux cérébral de la dopamine pour se rapprocher de la sécrétion physiologique de dopamine afin d’éviter les fluctuations plasmatiques et cérébrales, et in-fine cliniques.
Bien sûr, le recours à l’inhibition enzymatique fait partie des stratégies à mettre en place sans retard : dès le départ avec l’inhibition de la dopa-décarboxylase parce qu’on ne peut pas prescrire de L-DOPA sans cela, puis l’inhibition de la monoamine-oxydase, et, au moment où les fluctuations apparaissent, il est indiqué l’administration d’un inhibiteur de la catéchol-O-méthyltransférase.
L’ensemble de ces inhibitions fait sens d’un point de vue scientifique, car leur efficacité a été démontrée à la fois aux niveaux préclinique et clinique.

On sait quand même que leur impact est modéré, parce qu’il y a aussi une voie de métabolisation qui n’est pas enzymatique mais oxydative, notamment liée au fer. Et donc une grande partie de la dopamine se dégrade aussi sans passer par les voies de la catéchol-O-méthyltransférase et de la monoamine oxydase.

Néanmoins, il fait sens d’essayer de maintenir le plus longtemps possible ce concept de stimulation dopaminergique continue, ou de tenter de s’en approcher avec une administration orale.

Comment faire le diagnostic de fluctuations motrices, avec quels outils ?

L’éducation thérapeutique doit être très précoce
Pour bien prendre en charge une personne ayant une maladie de Parkinson, il faut que le patient comprenne bien les notions que l’on vient de voir : l’informer sur la déplétion progressive de la dopamine, l’avertir de la survenue possible de fluctuations pour que lui-même puisse s’auto-analyser, expliquer la nécessité éventuelle de prises répétées au cours de la journée. Il faut donc faire de l’éducation thérapeutique dès le diagnostic.

Et, comme nous l’avons vu également, la grande variabilité d’expression de la maladie de Parkinson fait qu’il n’y a pas un signe ou un symptôme unique qui va permettre de poser le diagnostic de fluctuation, mais qu’il va falloir rechercher différents signes : par exemple pour certaines personnes c’est l’anxiété qui sera le signal de la baisse de dopamine en fin de dose.

L’éducation thérapeutique est le meilleur des atouts pour que le patient apprenne progressivement, au fil des mois et des années, à identifier les signes de fluctuations, afin de mieux gérer et pouvoir si nécessaire adapter lui-même les horaires de prise pour anticiper et limiter ces fluctuations.

Bien entendu, l’interrogatoire lors des consultations, par le médecin généraliste ou le médecin spécialisé dans la maladie de Parkinson, sera également essentiel pour traquer systématiquement ces akinésies de fin de dose qui vont probablement apparaître avant les phénomènes de surdosage comme les dyskinésies. Il faut aussi informer tous les acteurs de santé de la personne pour améliorer le partage d’information et donc la précision de l’adaptation thérapeutique qui doit être sans cesse réévaluée étant donné la progression de la maladie.

Des outils connectés peuvent être utiles dans certains cas
Parmi les outils que l’on peut utiliser il y a par exemple des agendas, mais leur utilisation n’est pas toujours bien acceptée et puis aussi cela demande déjà une certaine expertise.

Il y a également de nouveaux outils, tels que les actimètres, présents sur des capteurs au poignet, à la cheville ou au niveau abdominal , qui peuvent enregistrer en continu l’activité motrice dans la vie réelle de la personne à son domicile, pendant ses loisirs et ses activités. Ils peuvent être utiles pour détecter précocement soit un sous-dosage généralisé, soit des petites akinésies de fin de dose nécessitant des adaptations thérapeutiques, soit encore des surdosages sous la forme de dyskinésies.

D’autres outils sont disponibles ou en développement : on peut dans certaines situations recourir à des enregistrements vidéo à domicile, il existe également des semelles connectées,… Il y a aujourd’hui un effort très important pour développer des outils permettant de mieux appréhender la personne dans son ensemble, à la fois au plan moteur, mais également non-moteur.

Les échelles telles que MDS-UPDRS ont-elles une place en pratique pour l’identification précoce des fluctuations motrices ?

L’UPDRS pour la maladie de Parkinson, dans sa version améliorée de la MDS-UPDRS par la Movement Disorder Society, permet de quantifier à la fois les symptômes moteurs et non moteurs, l’activité de la vie quotidienne et puis ces fluctuations.
Cependant les informations fournies sont relativement larges et peu sensibles, et au final les échelles sont principalement réservées aux essais thérapeutiques et sont de moindre utilité dans la vie quotidienne de la personne.

Quelle conclusion et quels messages retenir pour la pratique ?
Il apparaît donc fondamental dès l’annonce du diagnostic de la maladie de Parkinson d’entamer un processus d’explication de la maladie, d’éducation thérapeutique pour que la personne puisse comprendre comment elle va devoir gérer son traitement en termes d’horaires de prise, et surtout le plus important fragmenter le traitement tout au long de la journée pour tenter de limiter la pulsatilité de la lévodopa liée à sa courte demi-vie.

C’est grâce à cette éducation thérapeutique et par un dépistage systématique lors des consultations, qu’on pourra anticiper les premières fluctuations et mettre en place les mesures adaptatives et préparer progressivement le patient et son entourage aux différentes étapes du traitement : fragmentation, inhibiteurs enzymatiques, puis dans un second temps les traitements de seconde ligne (la stimulation dopaminergique continue par voie sous-cutanée ou digestive et la stimulation cérébrale).

Déclaration d’intérêts :
DD a reçu des honoraires d’Orion Pharma France pour des réunions d’expertise sur la maladie de Parkinson.